UNE VIE DE FEMME - 9ème partie
Guy et Renée sont mis au courant de la correspondance car je montre à chacun les lettres que j’envoie et celles que je reçois, mais chacun d’eux, pour des raisons différentes, se désintéressent de la chose, Guy parce que trop pris par son nouveau job, Renée, parce qu’elle est dépassée par les évènements.
Il faut bien comprendre que rien n’a été prémédité ; en souhaitant écrire à cet homme privé de liberté j’ai voulu faire rentrer dans sa cellule un petit rayon de soleil, lui de son côté à vécu sa vie sans se poser de questions, sans se demander ce qu’il aimait vraiment, se laissant porter par les évènements, se contentant de ce qu’il avait, du moins jusqu’au jour du vol.
Notre rencontre épistolaire est pourtant pour nous deux, un cadeau tombé du ciel car au fur et à mesure de notre correspondance, je vais pouvoir donner, par le biais des mots, le trop plein de tendresse qui m’étouffe et lui va recevoir cela comme un présent inespéré et y répondre. Sans y penser, sans nous concerter, nous allons garder tout au long des années, le vouvoiement, ce qui va mettre notre dialogue à un niveau si élevé, qu’aucune vulgarité ne pourra s’y installer ; nous nous aimerons sans jamais nous le dire, nous ferons l’amour sans jamais en parler.
Comme il est difficile d’expliquer ce que nous avons ressenti lui et moi, voici un texte que je lui ai envoyé qui expliquera, peut-être mieux que moi, ce que je veux dire.
-REVERIE-
Je me suis vue, dans bien des années devant un piano que vous m’aviez offert jouant pour vous, rien que pour vous tout ce que nous aimions.La maison est grande, claire et propre
Depuis longtemps déjà, nous sommes ensemble et chaque matin, nous lisons dans les yeux l’un de l’autre, le même élan d’amour et de tendresse qui nous fait vivre intensément.
C’est que nous avons tout partagé, les durs moments et les meilleurs. Rappelez-vous nos débuts, ces premières années si difficiles. Jamais vous n’avez douté et moi, j’étais fière d’être auprès de vous. Je vous ai vu travailler sans ménager votre peine et dans ces moments là, j’aurais voulu être homme pour mieux vous aider.
Mais quand arrivait le soir, harassée de fatigue, j’étais heureuse d’être femme car malgré tous nos soucis, vous trouviez encore le moyen de vous occuper de moi, de me faire rire, de m’émouvoir et dans notre maison, aussi pauvre fut-elle, c’était le bonheur qui scintillait partout.
Ce vieux meuble bancal qui était dans un coin, nos yeux le transformaient en un bahut rustique fleurant bon la cire et notre vieux réchaud devenait cheminée ; là où le sol s’effritait, nous mettions un tapis. Notre vaisselle ne valait guère mieux mais là aussi nous avons fait des prouesses : l’assiette ébrêchée devenait porcelaine de Saxe et le verre à moutarde, flûte de cristal.
Bien souvent, nous avons bu le champagne du puits, chaque jour plus frais et plus limpide, puis nous nous inventions des rêves, mélant tous deux notre imagination.
La nuit tombait alors sur notre beau château et chaque soir je vous ai retrouvé plus prévenant et plus tendre, cherchant par tous les moyens à me faire plaisir.
« Voilà mon doux cœur où mes rêves m’ont conduites
Aimeriez-vous vivre cette vie que je vous ai décrite ? «
Guy est parti pour l’Afrique, seul pour les trois premiers mois et si tout va bien pour lui, nous le rejoindrons après cette période.
Très vite, je me sens libérée d’un poids que je ne mesurais pas lorsqu’il était là : plus de tension, plus de disputes, des soirées telles que nous les aimons, les enfants et moi, quelquefois nous prenons un petit plateau télé devant un bon film, enfin la paix et les lettres de Raymond vont devenir alors, non pas un palliatif à une vie chargée de problèmes, mais un cadeau qui s’ajoute au simple bonheur de se sentir bien chez soi.
Il y a longtemps déjà que David sait que Guy n’est pas son père ; les psychologues consultés m’avaient dit que de telles révélations devaient être faites, soit avant l‘âge de 8 ans, soit après la puberté. Lorsque je le lui avait parlé, Il n’avait eu aucune réaction spéciale et était retourné à ses jeux.
Ce soir là, nous dinons ensemble, l’ambiance est comme à l’habitude bonne et détendue et alors, sans crier gare David me dit : » Maman, est-ce que tu peux me dire le nom du Monsieur qui m’a fait ? »je suis abasourdie, car cela veut dire que durant tout ces mois, il n’a pas cessé de penser à cela alors que je croyais qu’il n’y avait prêté aucune attention.
Je lui explique que cela ne servirait à rien de le savoir maintenant car il ne pourrait rien faire de ce renseignement mais que quand il sera plus grand, je le lui dirai. Et tout rentre dans l’ordre…. Comme avant, du moins je le crois.
Plus le temps passe et plus je réalise que je n’ai aucune envie de rejoindre mon mari en Afrique, je voudrais rester en France avec les enfants et que lui continue sa carrière là-bas mais ce n’est pas possible, sa société ne l’accepterait pas, c’est du moins ce qu’il me dit lorsque je lui en parle au téléphone et en guise de conclusion il ajoute : « arrête tes conneries et envoie les cantines »alors, la mort dans l’âme, je prépare le départ mais avant je voudrais voir Raymond au moins une fois. Renseignements pris au près de son avocat, je fais ce qu’il m’a conseillé bien qu’il m’ait prévenue qu’il y a peu de chance que ma demande aboutisse car seuls, les proches ont ce droit.
Le D-ieu Eros étant avec nous, j’obtiendrai 3 permis de visite. Je n’ai pas prévenue Raymond pour lui faire la surprise et lorsque enfin nous sommes l’un devant l’autre, séparés par une vitre en plexiglass, c’est très émus que nous nous regardons ; nous essayons de parler mais les mots ne passent pas, alors nous restons là, nous dévorant des yeux et le silence devient notre complice. Les deux autres visites elles, seront plus animées car nous savons qu’il n’y en aura pas d’autres, mon départ pour la Côte d’Ivoire étant imminent.
Et Alexandre comment va-t-il ? Il n’a pas encore 4 ans et autant son frère était facile à vivre, autant « Bichon » est très difficile.
Il y a eu la période des « pourquoi ?» qui semblait vouloir durer éternellement, et puis celle des « non ! » et là, il fallait s’ccrocher pour obtenir quelque chose du petit monstre. Et quoi donc ? ah oui, les doigts dans les prises de courant, ça c’est fait. Passer par la fenêtre ça aussi (presque) de plus il mange très mal il n’aime rien sauf…. Les carambars et les frites, c’est très peu pour varier les menus, mais pourtant, tous les examens pratiqués prouvent qu’il n’y a aucune carence et qu’il se porte comme un charme.
Nous sommes arrivés au 5 juin 1973, l’appartement est vide car tout a été vendu et les nouveaux locataires prendront possession des lieux pour un an le lendemain donc, quoi qu’il arrive, impossible de faire marche arrière.
Je me suis souvent demandé quelle vie j’aurais eue si, au dernier moment, j’avais refusé de partir, nul ne le sait et c’est peut-être mieux comme ça ……….
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