UNE VIE DE FEMME - 23 ème partie
Nous sommes en Septembre 1982. Alex à 14 ans. Mes cours de conversion commencent.
Cette année là, il y a trois classes : une en Allemand, une en Anglais, une en Hébreu. L’année précédente il y en avait une en Français car suffisamment d’élèves mais là, je suis la seule à parler cette langue, je choisis l’hébreu que je parle couramment mais que j’écris très mal, lentement et avec beaucoup de fautes.
Malgré cet handicap (qui en fait va me sauver la vie) j’ai bien fait de choisir cette classe Car le rabbin est exceptionnel. La quarantaine, grand et fort, il porte avec lui l’amour, l’amour des autres, l’amour de la religion, l’amour de la vie et pendant 7 mois il va nous apprendre le B.A.BA du judaïsme.Tout y passe, les prières, les commandements au nombre de 613, les règles concernant la nourriture, les lois de la famille et du couple, sans oublier l’histoire des hébreux vieille de plus de 2.000 ans .
J’ai beaucoup de mal à suivre car je dois, sur mon cahier, faire de la traduction simultanée. J’écris à chaque phrase deux mots en hébreu, trois en français, un en phonétique et le soir je n’arrive pas à me relire. Je comprends alors que je ne passerai jamais l’examen de fin de cours car je n’aurai pas suffissament appris pour connaître les réponses.
Un jour, je passe devant un magasin d’électro-ménager tenu par un religieux, je rentre, et je raconte à ce monsieur que je ne connais pas, mon problème et lui demande pour terminer s’il ne connaitrait pas une famille religieuse, parlant français et qui accepterait de m’expliquer, dans ma langue, ce que j’apprends à l’école. L’homme me prie de repasser dans quelques jours et quand je reviens, il me donne un papier sur lequel sont inscrits un nom et une adresse et devinez où ? un immeuble en face de mon école.
Régine, une jeune femme de 35 ans religieuse, mariée avec 3 enfants accepte avec plaisir de m’aider et une fois par semaine elle me recevra chez elle plusieurs heures pour revoir avec moi ce que j’ai étudié.
Un jour qu’elle ne peut pas me recevoir et qu’elle ne sait pas comment me prévenir car elle n’a pas mon adresse, elle passe à mon école et explique à la personne qui lui ouvre la porte la raison de sa visite. L’homme à qui elle s’adresse lui dit qu’il fera la commission. Je suis en effet prévenue par mon prof. Quelques jours après, je suis convoquée à la direction. Le Rabbin qui veut me parler est celui la même qui m’avait reçue sèchement le premier jour. Il m’annonce que compte tenu de ma conduite depuis de dèbut des cours, j’ai prouvé que je voulais vraiment me convertir, qu’il s’agissait d’un idéal et que par conséquent, il levait la sanction qu’il avait imposée et que je passerais l’examen et le rituel de conversion sous l’égide de l’école.
J’apprendrais plus tard que c’est grâce à la visite de Régine qui a expliqué les difficultés que je rencontrais ainsi que son rôle auprès de moi, ce qui prouve à quel point je voulais réussir.
Etant croyante, je n’ai aucun mal à m’imprégner de sujets qui, pour d’autres, paraissent rébarbatifs et je veux dire ici que la religion juive est (comme les autres d’ailleurs) très belle quand elle est expliquée avec amour comme le fait notre rabbin. Toutes ces règles et commandements sont en fait autant de parapets, de rampes de sécurité qui nous protègent des écarts de conduite toujours possible dans un monde où tout va si vite et où il n’y a plus de place pour le pur, le vrai, le beau.
De plus, nous obligeant sans cesse à réfléchir, cela nous amène à penser à notre entourage, à notre prochain, à le respecter comme il le mérite, à l’aider s’il est dans la peine, tout ceci vécu dans la joie. Hélas les temps où les gens vivaient ainsi sont révolus et c’est bien dommage.
Les cours se terminent, puis c’est l’examen. Il est pratiqué par trois rabbins venus de l’extérieur. Nous sommes tous assis sur une seule rangée, nous les élèves des 3 classes et chaque religieux assis face à nous vont poser, à tour de rôle, une question au premier en partant de la droite, puis au second etc… Je suis à peu près au milieu du rang. On reviendra sur moi, comme sur chaque élève 3 fois, avec des questions différentes et j’aurai de la chance car à chaque fois je connaitrai les réponses. Reçue à cette première partie, c’est au tour de mon appartement d’être cachérisé c’est à dire nettoyé de toutes les impuretés appartenant à ma vie précédente, celle où tous les mélanges de nourriture étaient permis.
Puis, estimant que je suis maintenant prête à endosser la responsabilité de devenir juive, je suis convoquée au « mikvé » soit le bain rituel qui se passera dans une autre ville « Nazareth »
Le lendemain de ce jour mémorable, je me réveille et je me sens si légère ; je suis débarassée de cette chape de plomb qui était posée sur mes épaules pendant si longtemps ; j’ai du mal à réaliser que ça y est, j’ai réussi, je suis juive, je suis israëlienne, fini le ministère de l’intérieur avec les visas, fini les sorties obligatoires du pays, fini le travail au noir.
Je viens de renaitre, ce jour là, le 6 juin 1983, j’ai un jour.
Lorsque je vais pour la dernière fois au ministère de l’intérieur pour faire entériner ma conversion et recevoir sur place ma carte d’identité, j’ai seulement pris un nouveau prénom mais j’ai gardé mon nom de famille, celui que je porte depuis prsque 45 ans et que je n’ai pas jugé utile de changer.
Durant ces 2 années passées en Israël, j’étais en correspondance avec mes parents, chacun séparément puisqu’ils sont divorcés. lorsque j’ai écrit que j’apprenais l’hébreu, on m’a répondu : « c’est bien » quand j’ai dit que j’avais réussi l’examen on m’a dit « c’est très bien » alors quand j’ai réussi ma conversion j’ai écrit cette nouvelle en faisant connaître aussi mon nouveau prénom « Yaël »
De ma mère, je ne recevrai aucune réponse, elle la garde pour plus tard. De mon père, je recevrai la lettre suivante :
« Ma fille,
Je viens de recevoir ta lettre qui ne me fait pas plaisir du tout. Alors comme çà, tu as fait rentrer un juif dans une famille tellement française !!!!! qu’est-ce que la France t’a fait pour que tu la renies à ce point? tu as été bien contente de la trouver pour élever tes enfants.
Quant à ton nouveau prénom, je l’ai oublié, je l’ai déchiré et je l’ai jeté à la poubelle. »
La soi disant acceptation par mes parents de ma réussite m’avait toujours étonnée, cette lettre là par contre, était tout à fait dans l’esprit que je connaissais de mon père. Alors j’ai pensé : « Si c’est aussi sale que ça de faire entrer un juif dans une famille aussi française, c’est peut-être aussi sale de faire entrer un nom aussi français dans la grande famille juive. Je n’ai pas hésité une seconde, je suis retournée au ministère de l’intérieur et en 5 minutes j’ai changé mon nom d’AVRANCHE en AVRAHAM. Je n’ai rien dit à mon père car non seulement on n’éduque pas ses parents, mais je le savais très malade. Ma mère elle, a attendue l’occasion et quand celle- ci est arrivée, elle aussi m’a dit à sa façon ce qu’elle en pensait. C’était encore pire que mon père.
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