UNE VIE DE FEMME- 1ère partie
A force de passer chaque jour sur mon blog la vie de Rosiane, mon passé remonte à la surface et avec lui, tout ce que je n’ai pas encore dit.
Elle et moi sommes de la même génération, elle a un an de plus que moi, une vie lourde d’évènements tragiques et malheureux et bien des fois, je me revois en elle car il semblerait qu’à l’époque où notre vie d’adulte a commencé, nous étions deux jeunes filles innocentes et rêveuses qui n’avaient jamais reçu de conseils pour savoir comment penser et comment nous diriger. Nous avons donc commis toutes sortes d’erreurs dues à notre ignorance mais également à l’absence d’amour de nos parents.
Pour ma part, j’ai compris très tard, qu’ils n’étaient pas responsables ayant eux-mêmes un passé encore plus lourd qu’ils trainaient derrière eux, un passé fait de blessures dont certaines ne se guérissent jamais.
TESTAMENT POUR MES FILS
J’ai deux fils. Chacun à sa façon a rompu toute relation avec moi. J’ai 74 ans, ne sais pas pendant combien de temps encore je pourrai m’exprimer et surtout leur laisser quelque chose.
Pour l’instant ils sont encore jeunes, l’un à 50 ans, et l’autre 43 ans. Comme m’a dit l’un d’eux : « moi, ce qui m’intéresse ce n’est pas le passé mais l’avenir ». Mais quand il aura son avenir derrière lui, il se rendra compte (nous l’avons tous fait) que lorsque l’avenir n’est plus, le passé prend toute son importance et lorsqu’il n’y a plus personne pour en parler, on ressent alors un grand vide bien difficile à combler.
Si un jour mes fils lisent les lignes qui vont suivre, ils comprendront peut-être que les raisons qui les ont détachés de moi étaient empreintes de beaucoup de jugements erronés, mais pour en arriver là, il leur faudra d’abord arrêter de courir après l’argent, la carrière et aussi hélas, être à leur tour déçus par la mentalité que leurs enfants auront adoptée et blessés par des attitudes non conformes à ce qu’ils souhaitaient.
Avec internet, il est facile de retrouver quelqu’un, qu’il s’agisse de « copainsd’avant » ou de « facebook » et si je ne souhaite pas qu’ils lisent maintenant les lignes qui vont suivre car ils ne sont pas assez mûrs pour les comprendre, j’espère qu’un jour, quelqu’un leur apprendra que « j’étais » et que « je ne suis plus » mais qu’ils peuvent encore faire un petit bout de chemin avec moi.
Ma vérité vaut bien la leur.
Année 1958. j’ai 20 ans. Je me suis mariée en 1956 avec André Cagnard ; Notre façon à nous de quitter les parents, car à l’époque il n’y avait pas d’autre alternative. Après 15 mois d’union, nous avons divorcé. J’habite rue La Fontaine dans le 16ème arrondissement. Dans les quartiers riches il y a deux sortes d’habitants : les riches et ceux qui travaillent pour eux. C’est le cas de mes parents ; ma mère travaillait chez les propriétaires de l’immeuble et quand les appartements ont été mis en vente, ses patrons, qui l’ appréciaient beaucoup, lui permirent d’acquérir le sien pour un prix intéressant.
J’habite le même immeuble que ma mère mais au 6ème étage dans « une chambre de bonne », sans eau, avec l’électricité qui a été raccordée sur la chambre d’un voisin et nous partageons la quittance.Je suis secrétaire. Je me maintiens.
Un jour que je passe chez la concierge pour y retirer mon courrier, un jeune homme se trouve à la loge. J’apprends alors qu’il s’agit d’un étudiant qui habite, lui aussi, au même étage que moi mais dans une autre aile de l’immeuble. Peu de temps après, il m’invite à un bal organisé par les étudiants universitaires.
Georges est lui aussi étudiant en 3ème année, d’ingénieur en électricité, originaire du Maroc, de la ville d’Oujda il est depuis quelques années à Paris pour y faire ses études.
Un grand roman d’amour va naitre entre nous, fait de beaucoup de tendresse, de mots d’amour, de petites attentions.Sur le plan sexuel c’est pas terrible car c’est un éjaculateur précoce, mais comme moi je suis frigide, cela n’est pas grave. L’important pour moi, c’est de sentir qu’il m’aime, qu’il s’intéresse à moi. Je suis « sa petite caille »
Depuis mon mariage, je n’ai jamais pris de précaution et je ne me suis jamais trouvé enceinte. C’est pour cela que j’ai « décidé » que j’étais stérile, alors quand je me retrouve enceinte c’est la surprise. Je suis très heureuse, pensez-donc ! un petit être de l’homme que j’aime ! oui bien sûr on vit à l’étroit, Georges ne travaille pas, ma position sociale est modeste mais qu’importe (l’inconscience des jeunes !)
Mais Georges lui est atterré. Il est juif et à cet époque, surtout issu d’Afrique du Nord, il n’est pas question d’épouser une « goy » alors il m’explique du mieux qu’il peut. Je ne sais pas ce que je comprends au juste mais je maintiens ma position, alors ne sachant plus quoi me dire, c’est à genoux qu’il me demande de ne pas garder cet enfant, me promettant que plus tard, lorsqu’il aura fini ses études, il convaincra ses parents de le laisser m’épouser.
J’ai fini par céder, c’est je pense la plus grande erreur de ma vie, car au bout du compte j’ai perdu et l’enfant et l’homme. Pourtant, par amour, j’ai accédé à son désir puis les choses ont repris leur cours.
Il termine avec succès ses études et part aussitôt pour l’Algérie car c’est la guerre là-bas. Etant sursitaire, il fera 36 mois de service. Il ne reste entre nous que les lettres qui vont meubler nos jours et nos nuits et puis un jour…. Plus de lettres. J’écris, pas de réponse, j’écris encore, rien….
Enfin, une enveloppe reconnaissable entre toutes fait son apparition. Georges explique son incompréhension devant les évènements, l’horreur de la guerre . Comme il parle l’arabe il est le traducteur lorsque des fedaiyns sont arrêtés, il assiste aux coups, aux tortures et un jour, il refuse de continuer les traductions. Envoyé au trou, il en ressortira quelque temps après pour apprendre que son meilleur ami n’est plus et qu’un autre de ses copains, de retour d’une permission, s’est suicidé car sa femme l’avait quitté et était parti avec un autre.
C’est trop pour lui, il explique qu’il ne sait même pas s’il sera encore en vie demain, qu’il ne pourra jamais parler de moi à ses parents car il leur ferait trop de peine, il se traite de lâche et me rend ma liberté pour ne pas continuer de gâcher ma vie, moi qui lui ai sacrifié notre enfant car j’avais confiance en lui.
Dans cette chambre sordide, les murs tournent autour de moi, peu importe ce que je comprends , la vie doit s’arrêter là. Je prends une lame de rasoir et je m’entaille les veines.
Quand je me réveille, je suis couchée sur le sol, le sang à giclé au plafond et sur les murs et sur mon bras un caillot de sang a arrêté l’hémorragie. Tant bien que mal je me relève, Je nettoie la plaie avec ce que j’ai, je mets un pansement et…. Je vais me coucher.
Le lendemain matin je me réveille toute endolorie, mais malgré tout, je vais au travail. Mes collègues me demandent ce que j’ai au bras, je leur raconte que je me suis brulée.
L’histoire n’aura aucune conséquence.
Je ne reverrai plus jamais Georges. Mais…………
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