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OSCAR ET LA DAME ROSE DE Eric-Emmanuel Schmitt-8ème partie

 

 

 

Cher Dieu,

 

 

 

J'ai soixante ans passés et je paie l'addition pour tous les abus que j'ai faits hier soir. Ça n'a pas été la grande forme aujourd'hui.

Ça m'a fait plaisir de revenir chez moi, à l'hôpital. On devient comme ça, quand on est vieux, on n'aime plus voyager. Sûr que je n'ai plus envie de partir.

 

Ce que je ne t'ai pas dit dans ma lettre d'hier, c'est que, chez Mamie-Rose, sur une étagère, dans l'escalier, il y avait une statue de Peggy Blue. Je te jure. Exactement la même, en plâtre, avec le même visage très doux, la même couleur bleue sur les vêtements et sur la peau. Mamie-Rose prétend que c'est la Vierge Marie, ta mère d'après ce que j'ai compris, une madone héréditaire chez elle depuis plusieurs générations. Elle a accepté de me la donner. Je l'ai mise sur ma table de chevet. De toute façon, ça reviendra un jour dans la famille de Mamie-Rose puisque je l'ai adoptée.

 

Peggy Blue va mieux. Elle est venue me rendre visite en fauteuil. Elle ne s'est pas reconnue dans la statue mais on a passé un joli moment ensemble. On a écouté Casse-Noisette en se tenant la main et ça nous a rappelé le bon temps.

 

Je te parle pas plus longtemps parce que je trouve le stylo un peu lourd. Tout le monde est malade ici, même le docteur Dùsseldorf, à cause des chocolats, des foies gras, des marrons glacés et du Champagne que les parents ont offerts en masse au personnel soignant. J'aimerais bien que tu me rendes visite.

 

 

Bisous, à demain,

Oscar.

 

 

 

 

 

Cher Dieu,

 

 

Aujourd'hui, j'ai eu de soixante-dix à quatre-vingts ans et j'ai beaucoup réfléchi.

 

D'abord, j'ai utilisé le cadeau de Mamie-Rose pour Noël. Je ne sais pas si je t'en avais parlé ? C'est une plante du Sahara qui vit toute sa vie en un seul jour. Sitôt que la graine reçoit de l'eau, elle bourgeonne, elle devient tige, elle prend des feuilles, elle fait une fleur, elle fabrique des graines, elle se fane, elle se raplatit et, hop, le soir c'est fini. C'est un cadeau génial, je te remercie de l'avoir inventé. On l'a arrosée ce matin à sept heures, Mamie-Rose, mes parents et moi - au fait, je ne sais si je t'ai dit, ils habitent en ce moment chez Mamie-Rose parce que c'est moins loin - et j'ai pu suivre toute son existence. J'étais ému. C'est sûr qu'elle est plutôt chétive et riquiqui comme fleur - elle n'a rien d'un baobab mais elle a fait bravement tout son boulot de plante, comme une grande, devant nous en une journée, sans s'arrêter.

 

Avec Peggy Blue, on a beaucoup lu le Dictionnaire médical. C'est son livre préféré. Elle est passionnée par les maladies et elle se demande lesquelles elle pourra avoir plus tard. Moi, j'ai regardé les mots qui m'intéressaient : «Vie», «Mort», «Foi»,« Dieu ». Tu me croiras si tu veux, ils n'y étaient pas ! Remarque, ça prouve déjà que ce ne sont pas des maladies, ni la vie, ni la mort, ni la foi, ni toi. Ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Pourtant, dans un livre aussi sérieux, il devrait y avoir des réponses aux questions les plus sérieuses, non ?

 

-     Mamie-Rose, j'ai l'impression que, dans le Dictionnaire médical, il n'y a que des trucs particuliers, des problèmes qui peuvent arriver à tel ou tel bonhomme. Mais il n'y a pas les choses qui nous concernent tous : la Vie, la Mort, la Foi, Dieu.

-     Il faudrait peut-être prendre un Dictionnaire de philosophie, Oscar. Cependant, même si tu trouves bien les idées que tu cherches, tu risques d'être déçu aussi. Il propose plusieurs réponses très différentes pour chaque notion.

-     Comment ça se fait ?

-     Les questions les plus intéressantes restent des questions. Elles enveloppent un mystère. A chaque réponse, on doit joindre un «peut-être». Il n'y a que les questions sans intérêt qui ont une réponse définitive.

-     Vous voulez dire qu'à «Vie», il n'y a pas de solution ?

-     Je veux dire qu'à « Vie », il y a plusieurs solutions, donc pas de solution.

-     Moi, c'est ce que je pense, Mamie-Rose, il n'y a pas de solution à la vie sinon vivre.

 

Le docteur Düsseldorf est passé nous voir. Il traînait son air de chien battu, ce qui le rend encore plus expressif, avec ses grands sourcils noirs.

-        Est-ce que vous vous coiffez les sourcils, docteur Düsseldorf? j'ai demandé.

 

Il a regardé autour de lui, très surpris, il avait l'air de demander à Mamie-Rose, à mes parents, s'il avait bien entendu. Il a fini par dire oui d'une voix étouffée.

 

-     Faut pas tirer une tête pareille, docteur Düsseldorf. Écoutez, je vais vous parler franchement parce que moi, j'ai toujours été très correct sur le plan médicament et vous, vous avez été impeccable sur le plan maladie. Arrêtez les airs coupables. Ce n'est pas de votre faute si vous êtes obligé d'annoncer des mauvaises nouvelles aux gens, des maladies aux noms latins et des guérisons impossibles. Faut vous détendre. Vous décontracter. Vous n'êtes pas Dieu le Père. Ce n'est pas vous qui commandez à la nature. Vous êtes juste réparateur. Faut lever le pied, docteur Düsseldorf, relâcher la pression et pas vous donner trop d'importance, sinon vous n'allez pas pouvoir continuer ce métier longtemps. Regardez déjà la tête que vous avez.

 

En m'écoutant, le docteur Diisseldorf avait la bouche comme s'il gobait un œuf. Puis il a souri, un vrai sourire, et il m'a embrassé.

 

Tu as raison, Oscar. Merci de m'avoir dit ça.

 

De rien, docteur. À votre service. Revenez quand vous voulez.

 

Voilà, Dieu. Toi, par contre, j'attends toujours ta visite. Viens. N'hésite pas. Viens, même si j'ai beaucoup de monde en ce moment. Ça me ferait vraiment plaisir.

 

 

 

À demain, bisous,

Oscar.

 

 

 





14/06/2012
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