les héros oubliés
C’est aujourd’hui chez nous le « yom a zicarone » le jour du souvenir de la « shoa », journée durant laquelle nous pensons tout particulièrement aux six millions de juifs assassinés durant la seconde guerre mondiale.
Une histoire parmi tant d’autres celle de Claudine Rudel Schwartz
Claudine Rudel Schwartz est née à Paris en 1936. En 1942, elle échappe aux rafles successives dont celle du Vel d’Hiv que nous commémorons aujourd’hui. Ses enfants et petits-enfants, eux, ont servi ou servent actuellement dans les rangs de Tsahal pour la survie de l’État d’Israël.
A quel moment, dans vos souvenirs, tout a basculé ?
Nous étions sur le point de rentrer de nos vacances à Biarritz pour Paris lorsque mon père est revenu du centre-ville : “Ca y est la guerre est déclarée, les hommes sont mobilisés.” Je me souviens de cette journée là.
Peu de temps après, mes oncles et mon père se sont portés volontaires pour s’engager dans l’armée française en tant qu’étrangers. Ils étaient reconnaissants envers la France qui les avait accueillis quand ils sont arrivés d’Europe de l’est et aussi conscients du danger que représentaient les nazis.
L’armée n’a pas engagé mon père en raison de son âge. Les deux frères de ma mère, plus jeunes, ont eux rejoint le champ de bataille. L’un d’eux a été fait prisonnier et a passé une grande partie de la guerre dans un camp de prisonniers en Allemagne, L’autre a été démobilisé dans le sud de la France, puis arrêté comme juif et déporté dans les camps. Il n’est jamais revenu.
Comment avez-vous réussi à échapper aux rafles ?
Le mari de la concierge dans notre immeuble était conducteur de bus à la RATP. Il était d’origine alsacienne et détestait les Allemands. C’était simplement un honnête homme, qui ne supportait pas de voir les Juifs arrêtés du fait de leur religion .
Alors, mon père et lui avaient un code. Chaque fois qu’ils seraient réquisitionnés le lendemain matin – lui et son bus – pour ramasser des Juifs arrêtés dans un quartier en particulier – il se débrouillait pour en informer mon père.
“Tu ne sais pas quoi, demain on m’envoie travailler à l’aube dans le 11ème”, lui lançait-il en rentrant du travail.
Et mon père comprenait. Il prévenait un ami, qui prévenait son ami et le bouche à oreille fonctionnait, tant bien que mal.
“C’était un chauffeur de bus normal, conduisant un autobus normal pour faire un travail anormal, à des heures anormales.”
Le veille de la rafle du Vel d’hiv, le chauffeur avait dû prévenir mon père qu’il se passerait quelque chose. Mon père nous avait mis à l’abris dans la chambre de bonne et c’est comme ça que nous avons échappé aux arrestations.
Maman avait été obligée de coudre l’étoile jaune sur nos manteaux. Quand nous sortions, elle prenait une pochette en guise de sac à main sous laquelle elle dissimulait son étoile, et elle me tendait un livre pour que je fasse de même.
Papa avait des contacts avec des résistants, juifs et non juifs. En novembre 1942, ça commençait à devenir trop dangereux donc on n’a quitté Paris pour Oriac dans le massif central. Nous sommes ensuite descendus vers Nice et nous avons vécu dans un village près de Cannes.
Nous y habitions une villa splendide qui servait de maison de fonction à mon père et deux co-équipiers. Ensemble, ils fabriquaient des “vraies-fausses” cartes d’identité. Ils allaient rendre visite à un brave employé de mairie, qui faisait mine d’oublier ses tampons officiels sur le bureau.
Puis nous avons déménagé dans l’Isère. Nous habitions chez des fermiers, et nous nous faisions passer pour des réfugiés alsaciens. Les gens du village ne discernaient pas la différence entre l’accent hongrois et l’accent alsacien. J’allais au catéchisme le jeudi, à la messe le dimanche et je voyais ma mère et ma grand-mère allumer les bougies de Shabbat le vendredi soir dans une armoire, une fois les volets de la maison clos.
Quand êtes-vous rentrés à Paris ?
Nous sommes rentrés à Paris à l’automne 1945. Je m’en souviens parce que quelques temps avant de partir, maman et moi travaillions avec la fermière dans le salon et nous avons entendu à la radio le discours du grand Rabbin de France, le rabbin Schwartz pour les fêtes de Rosh Hashana. La femme s’était retournée vers nous et avait demandé à maman s’il était de notre famille. Elle avait probablement compris que nous étions Juifs.
Quel est votre lien avec Israël ?
J’ai grandi dans une famille sioniste. Deux frères de ma mère avaient déjà immigré en Israël entre les deux guerres. Après mon bac, j’ai demandé à mes parents de me laisser partir en Israël. Ils ont refusé : à l’époque, il n’était pas question de laisser partir une jeune fille seule à l’étranger.
Je suis partie étudier l’agronomie à Toulouse, dans l’espoir de partir un jour en Israël et de pouvoir travailler la terre là-bas. C’est à ce moment que j’ai rencontré celui qui deviendrait mon mari. A 17 ans il vivait en Israël et s’était battu pour prendre part aux combats de la Guerre d’Indépendance avant l’âge autorisé.
Nous nous sommes mariés en 1956 et nous répétions chaque année : “l’an prochain à Jérusalem”
Nos quatre enfants sont nés en France, puis nous sommes montés en Israël en 1970. Mon fils a servi pendant la 1ère Guerre du Liban. Mon petit-fils a servi pendant la Deuxième Guerre du Liban. Et l’un de mes petits-fils est actuellement combattant dans la Brigade d’infanterie Golani.
Que représente ces engagements dans Tsahal pour vous ?
J’éprouve tout d’abord un sentiment de grâce vis-à-vis de D. J’ai la chance de voir chaque jour mes enfants, petits-enfants et même arrières petits-enfants grandir en Israël. A la naissance de mon dernier arrière petit-enfant, je me suis rendue compte à quel point c’était magnifique de voir s’élever une deuxième génération en Israël.
Quand je vois des soldats, comme mon petit-fils, je pense constamment à la manière dont je pourrais les aider, les épauler, leur apporter un peu de réconfort.
J’ai travaillé à Yad Vashem dans différents départements et aussi comme guide.
A présent retraitée, Claudine continue à travailler au service de renseignements du musée et à guider des groupes dans le mémorial.
Aujourd’hui, si vous visitez le partie du musée de Yad Vashem dédié aux enfants où ont été regroupés une multitude de petits objets, vous pourrez trouver ma poupée de petite fille. En quelque sorte, cette poupée a été la clé de notre survie. Maman avait réussi à dissimuler dedans quelques bijoux et pierres précieuses lorsque nous avons quitté Paris.
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