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LA SOLITUDE

 

 



Dans le brouhaha de la rue, l’homme marche d’un pas saccadé et las. Son dos se courbe comme pour éviter les bourrasques. 

Autour de lui, tout n’est que trépidation. Les néons clignotent, les vitrines se parent de gigantesques sapins ornés de boules énormes. Les gens s’activent, entrant et sortant des boutiques surchauffées et les quelques enfants qui trainent encore, collent leur petit visage froid sur les vitres, comme si leurs yeux voulaient engloutir le contenu des étalages. 

La musique s’égrènent un peu partout, mélodieuse dans les grandes avenues, tonitruante dans les ruelles sombres, entrecoupée de flashs pubicitaires et de brèves informations. 

Sur toute cette vie qui ne s’éteindra que tard dans la nuit, une neige fine et poudreuse déverse son long manteau blanc. C’est Noêl ! 

L’homme continue sa route. Pour se protéger des flocons qui tournoient, il a relevé le col de son vieux manteau et les mains engoncées dans ce qui lui sert de poches, il s’enfonce dans la nuit.

Depuis qu’il a laissé loin derrière lui les flonflons de la fête, il entend son cœur battre dans sa poitrine et résonner comme un glas. 
Aux multiples questions que son cerveau refuse, une revient sans cesse, plus forte que les autres : pourquoi ?……. 

Ce simple mot fait jaillir de tout ce corps usé, mille souvenirs qu’il ne peut contenir : deux petits minois près d’une statue blonde apparaissent en premier, entourés de cris et de rires. 

Comme il était bon ce temps où ses trois amours l’attendaient dans la maison quiète ! quatre petites mains l’agrippaient aux entournures, dix doigts de fée lui caressaient la nuque et l’homme se revoyait, admirant ses trésors dont il était si fier et si jaloux. 

Il était loin le temps où une robe de mousseline accrochée à son bras, deux gros nœuds rose et bleu trottinant devant lui , il étalait, aux yeux de tous, son bonheur en écrin. 

Pourquoi le ciel s’était-il obscurci brusquement ? 
Pourquoi des larmes de sang avait-elles masqué les dentelles ? 

Mille fois, il avait essayé de comprendre, jamais il n’y était parvenu. 


La vieille baraque qui lui sert de refuge est là, devant lui, et comme à chaque fois qu’il en franchit le seuil, la porte se referme sur lui et sur sa solitude. 

Il n’a plus parlé à personne depuis des années, depuis le jour où il a compris que ceux auxquels il s’adressait pour crier sa peine, étaient des mannequins de cire aux yeux vitreux et à la peau blème. Il en avait mis du temps pour comprendre que ses semblables entendent sans écouter, regardent sans voir et parlent pour ne rien dire. Alors, quand l’écho de ses propres paroles ne lui était plus revenu, quand il n’avait plus retrouvé dans les yeux d’autrui le reflet de sa propre image, il avait compris qu’il était vraiment seul. 

Au début, il avait cru pouvoir s’en sortir, forgeant ses espoirs dans sa volonté, croyant avoir amassé des réserves dans son intelligence, sa logique, espérant, malgré les apparences que sa route croiserait celle d’autres gens comme lui, chaleureux, simples et profonds, que tout pourrait alors recommencer, sous un jour différent peut-être mais quelle importance ? 

Puis le temps avait passé, l’espoir avait fait place à l’inquiétude qui, par moments, s’était teintée de notes optimistes pour ne pas laisser une trop grande place au désespoir. Mais, à force de combler les trous par des sentiments divers et contradictoires, le vide s’était installé à l’insu de l’homme. 

De son manteau trempé, il a sorti son maigre festin qu’il engloutira sans même y penser, les yeux dans le vague, le cœur absent. Dehors, c’est la tourmente, le vent s’engouffre dans les rainures disjointes des planches ; la nature gémit, elle aussi semble souffrir. 

L’homme sort de son absence sans savoir pourquoi et prêt à y repartir, il entend un bruit bizarre, indéfinissable et parce que son esprit est encore capable de faire preuve de curiosité, il se dirige vers la porte qu’il ouvre doucement. 

Elle est là à ses pieds, le regard tendu vers lui, son petit corps si maigre se soulève précipitamment à chaque respiration et, usant des dernières forces qui lui restent, elle se traine vers l’homme et pose sa patte sur une de ses chaussures. 

D’un geste machinal, il soulève cette petite boule transie qui gémit, referme la porte et retourne s’asseoir dans le coin le plus chaud de la pièce. Il caresse le dos de la bête qui s’est blottie contre lui, la tête enfouie dans le creux de son bras. 

Lui qui n’a plus rien regardé depuis longtemps, pose ses yeux sur ce maigre souffle de vie, sur cette pauvre créature qui n’en peut plus et qui semble être venue finir là sa vie. 

Il voudrait en être arrivé au même degré d’épuisement que l’animal dont il sent la fin proche mais son instinct de conservation – à moins qu’il ne s’agisse de quelque chose de plus étrange – l’amène à tremper ses doigts dans un reste de lait, puis à les porter aux lèvres de l’animal qui, éveillé par ce contact, se lèche les babines et ouvre les yeux. Il recommence la manœuvre et à chaque fois, la petite chienne essaie de prendre le souffle de vie que son nouveau compagnon lui insuffle. 

Au bout d’un long moment, en la regardant mieux, il semblerait que les yeux ont repris vie, que la petite boule à tiédi, que le petit cœur a retrouvé un rythme plus régulier et qu’une ombre de chaleur est entrée dans la maison. 

Moins las que d’habitude, il décide malgré tout d’aller se reposer et celle qui plus tard se nommera « Belle » est installée délicatement dans les couvertures. 

 

 

Les mois ont passé et certains ont remarqué que le solitaire qui, régulièrement depuis des années passait devant eux, est maintenant accompagné d’une jolie petite chienne aux poils roux et soyeux . Les plus observateurs ont cru voir que l’homme marchait d’un pas plus décidé et ceux qui l’ont croisé ont même découvert une lueur de joie dans ses yeux clairs. Mais  qu’y avait-il de changer au fond ? il habite toujours la même maison triste, il passe toujours par les mêmes chemins, à la même heure. C’est encore un de ces êtres bizarres ont-ils murmuré, puis les badauds ne s’en sont plus préoccupé et sont retournés à leurs occupations.

 

Lui aussi se posait parfois des questions : pourquoi se levait-il le matin plus joyeux ? peut-être parce qu’il devait prendre des précautions pour ne pas réveiller l’animal qui dormait  encore. Peut-être aussi que lorsque la pièce s’imbibait de l’odeur du café et que « Belle » jappait joyeusement se dirigeant vers son bol, elle chassait de la demeure, dame solitude. Peut-être enfin que lorsqu’elle posait sa patte sur la main de son compagnon et frétillait de la queue, c’était une sorte de conversation muette que tous deux comprenaient.

 

Ils avaient pris l’habitude de faire de fréquentes balades dans la forêt toute proche. Belle raffolait de ces virées, se cachant derrière les gros arbres et laissant son maitre la chercher, grattant la terre avec frénésie comme si, en bon chien de chasse qu’elle n’était pas, elle avait découvert un gibier de choix. Elle aimait particulièrement les paquerettes auxquelles elle donnait de petits coups de pattes afin de les voir osciller de droite à gauche.

 

Lorsqu’il était l’heure de rentrer, elle reprenait le chemin inverse, recommençant ses espiègleries et son instinct sûr la guidait toujours vers son logis, quel que soit l’itinéraire de la promenade.

 

Ce jour là, Belle était partie comme à l’accoutumée jouer les explorateurs dans un rayon de quelques centaines de mètres, le soir tombait et l’homme commençait à s’inquiéter. Elle aurait dû être là depuis longtemps. Il avait beau l’appeler, aller au devant d’elle, emprunter tous les chemins qu’elle aimait, personne n’avait répondu à ses appels.

 

De guerre lasse, il était rentré chez lui et attendait. Pourquoi ? se demandait-il encore une fois. Pourquoi mon D-ieu mettez-vous toujours sur ma route des êtres que je dois perdre un jour ou l’autre ? que vous-ai-je donc fait ? et il attendit.

 

Le jour succéda à l’aube et c’est d’un pas  plus lourd que jamais que l’homme sortit  pour jeter un dernier regard sur la nature qui l’entourait. A peine avait-il ouvert sa porte que deux aboiements différents le firent sursauter. L’un joyeux et espiègle qu’il connaissait bien, l’autre qui se voulait intimidant. Il avait devant lui sa Belle, plus belle que jamais et près d’elle un superbe chien, haut campé sur pattes, l’allure fière et sur la défensive. Belle allait de l’un à l’autre semblant faire les présentations, voulant calmer l’un et encourager l’autre à faire le premier pas puis, à bout d’arguments, était venue auprès de son maitre, en ayant l’air de dire à son nouvel ami de faire de même.

 

Alors le voile se déchire dans la tête du malheureux : Belle n’avait jamais voulu mourir et c’est jusqu’à son dernier souffle qu’elle avait cherché du secours. Belle n’avait pas fui la maison mais le moment était venu pour elle de vivre sa vie sous une autre forme et sans pour autant rejeter le passé, elle s’était mise en quête d’un nouveau compagnon. Elle avait compris depuis bien longtemps ce que l’homme venait de découvrir : un malheur ne se surmonte que si celui qui en est  victime a assez de courage pour ne pas désespérer.

 

Son baluchon sur l’épaule, ses deux chiens près de lui, l’homme est déjà loin de son passé

. Il parcourt les routes et les chemins plein de nouvelles forces. Les sourires qu’il distribue lui sont rendus au centuple, les nouvelles décisions qui l’animent le rendent invulnérable au froid et à la faim. Il marche d’un pas assuré vers le bonheur qui demain sera le sien, tout simplement parce qu’il espère, qu’il croit, qu’il agit. 



19/04/2012
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