animaux, humour,histoire,mystique,poèmes,contes,bric à brac

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coin lecture - chienne de vie - 8ère partie


 

 

 

 

Chaussettes par correspondance

 

Ce matin, rien ne va. Je me sens patraque, je n’ai pas faim et j’ai surtout

terriblement mal à une oreille. On dirait que l’intérieur est en feu. Ça brûle

et ça pique.

 

Je ne suis pas douillette. Et je peux même vous dire que j’en ai pris des

méchants coups à la S.P.A.. J’ai été mordue et griffée. Mais là, ça fait trop

mal !

 

En se levant, Elle voit tout de suite que je ne suis pas bien. Pas de zébulon-

neries, je refuse d’aller dans le jardin… Elle me prend dans ses bras et sa

main frottant mon oreille m’arrache un cri de douleur.

— Qu'est-ce qui ne va pas, ma belle ? Tu as mal à l’oreille ?

 

Comme j’aimerais savoir parler, lui dire que je souffre… Les humains ont la

chance de pouvoir mettre des mots sur ce qu’ils ressentent. Des mots de

colère, d’amour, de compassion ou de peur… Tout cela doit déjà soulager

un peu.

 

Une voix peut être tellement rassurante. Celle de Chaussettes bios était

forte, rugueuse et parfois méchante. En ce moment, la sienne est douce et

inquiète.

 

Quant à moi, je ne peux que gémir. Et cette fois, ce n’est pas du cinéma !

Elle me pose délicatement sur le canapé et décroche son téléphone. Je

l’entends dire :

— Je ne suis pas bien ce matin, il faut que j’aille chez le médecin. Oui, je

vous tiendrai au courant.

 

Après quoi elle m’enveloppe dans une couverture. Nous voilà en route pour

la clinique vétérinaire. Comme je déteste cet endroit ! Ça sent le médica-

ment, la maladie et les produits bizarres… Le grand type à lunettes et à la

sacoche avait la même odeur à la S.P.A. ! Une odeur qui n’a rien à voir avec

la vie.

 

Plus de peur que de mal ! J’avais une sorte d’herbe piquante dans le conduit

auditif. Un autre type à lunettes me l’a enlevée et je me suis tout de suite

sentie mieux. Quelques gouttes là-dessus et hop, comme neuve !

 

Jamais je ne l’avais sentie aussi angoissée. Enfin, je veux dire, aux prises

avec ce type d’angoisse. Et tout ça, rien que pour moi ? Saurai-je lui rendre

tout cet amour ? Comment lui exprimer ? Je donnerai ma vie pour Elle. Mes

3,5 kg de vie…

— Vous êtes sûr que tout est enlevé ? Ça ne risque pas de s’infecter ? Ne

vaudrait-il pas mieux que je revienne demain pour un contrôle ? Bien, si

vous le dites. D’accord, juste les gouttes pendant deux jours.

 

Je la sens à moitié rassurée.

 

De retour à la maison, Elle m’installe sur son lit. Le lit, en plein jour ? Elle

m’apporte mon coussin-cœur, me couvre avec son peignoir, me caresse

doucement et m’embrasse sur la truffe. Ah, qu’il est bon d’être malade

quand on ne souffre plus et que l’on est déjà sauvé !

 

À nouveau, elle décroche le téléphone, prépare son mensonge.

— Je n’ai pas pu voir le médecin. J’ai un rendez-vous pour demain. Sûre-

ment rien de grave. Je n’ai jamais été malade en six ans. Bien sûr, je vous

rappellerai. Oui, merci. Je vais prendre soin de moi. Je serai là après-

demain. Au revoir.

 

Elle raccroche.

— Eh merde ! Je ne suis jamais malade. Pour une fois, ils se passeront de

moi. Je ne suis tout de même pas irremplaçable.

 

Elle se rapproche de moi tout en douceur.

— Comment ça va ma belle ? Ne bouge pas, je vais t’apporter tes cro-

quettes. Je suis là, je ne te quitte pas. Demain aussi, je serais là. Je vais

prendre soin de toi.

 

En vérité, je ne souffre pratiquement plus ; si ce n’est que les gouttes me

rendent un peu sourde ! Mais comme il est bon de la sentir si proche. J’ai

honte de le dire, mais j’ai aimé sa peur. Savoir que quelqu’un s’inquiète

pour soi, que l’on n’est pas seul dans la souffrance…

 

C’est alors que je me rappelle de l’Autre, ma première maîtresse. La pauvre.

Elle ne quittait jamais le lit, avec pour seule compagnie une chienne et le

ballet des infirmières…

 

J’ai modestement fait tout ce que je pouvais, mais il lui manquait surtout

l’amour de ses semblables. Lorsqu’elle gémissait la nuit, où étaient-ils, ces

gens qui ont emporté ses meubles ? S’ils l’avaient entouré d’amour, aurait-

elle moins souffert ? À quoi pensait-elle, dans la solitude de sa chambre,

sans une main pour tenir la sienne et sans personne à qui se raccrocher ?

S’est-elle seulement battue ?

 

Toutes ces images refont surface et me rendent soudain triste.

— Ne fais pas ces yeux-là, Noirette. Je suis là, ne t’inquiète pas.

 

J’ai presque honte. Moi, une chienne. J’ai tant d’amour pour moi seule alors

que certains humains en manquent si cruellement. Cela ne doit pas être

donné à tout le monde d’aimer. Comme il y a des Chaton, des Chéri, des

Mamour et des Le Bon, il doit y avoir des gens capables d’aimer et ceux qui

ne peuvent pas. Sincèrement, je les plains. Ils doivent être bien vides de-

dans…

 

Alors que je me repose de toutes ces émotions, Elle appelle le trio pour leur

raconter ce qu’il m’arrive. Une à une, elles partagent ma douleur et son

angoisse. J’imagine qu’elles vont cautionner le mensonge justifiant son

absence au travail.

 

Depuis hier, je suis en convalescence et tout effort inutile m’est interdit.

Nous voici donc toutes les deux dans le jardin. Je somnole sur mon coussin-

cœur transporté sur l’herbe pour l’occasion tandis qu’Elle lit dans son tran-

sat. Comme dans tous les vieux couples — ce que nous sommes en quelque

sorte, l’un commente et l’autre écoute. En général, Elle s’indigne et s’énerve

toute seule.

— Allons donc. Encore des expulsions de familles entières, un attentat à la

bombe en Irak, des inondations en Inde… Quelle misère ! Franchement, je

lis rarement le journal et je ne le regrette pas. Pourquoi aucun journaliste ne

pense à faire un article sur un sujet porteur de joie ou d’optimisme ? Un truc

rigolo, ou de bonnes nouvelles du style : moins d’impôts ou l’essence passe

à 20 centimes d’euros le litre ! Ça me déprime. Lisons donc les petites

annonces, pour voir ce qu’il y a en magasin.

 

Quel magasin ? Je ne comprends rien du tout.

 

— Écoute ça ! Monsieur, 60 ans, bel homme à la situation stable, rencon-

trerait femme 35/45 ans pour sorties, amitié et plus si affinité. Je n’y crois

pas ! 60 ans et il cherche une femme de 45 ans maxi ? Je rêve. Il n’a pas dû

bien se regarder le papy. Et avec ça, il ose rajouter : et plus si affinité. Ben,

voyons ! À part celui-là, quoi d’autre ? Un homme qui cherche un couple bi,

une femme très ronde. Et celle-là : une femme libre ou non pour après-midi

! Que du bonheur… Il y en a pourtant deux ou trois qui me semblent pas

mal.

À présent, je comprends ce dont il s’agit. C’est un peu comme moi, à la

S.P.A.. Les gens font leur marché, choisissent le produit qu’ils veulent

acheter. La différence, ici, c’est que tu ne vois pas ce que tu achètes. Il doit

y avoir tout type de Chaussettes là-dedans. Peut-être y en a-t-il des sérieux ?

 

Mais je penche plus pour des détraqués. Ça doit être encore pire que lors-

qu’Elle achète une robe dans un catalogue.

— Et si j’en passais une ? Tu vois, une annonce assez soft, mais attrayante.

Comme ça, j’aurai le choix et je rencontrerai qui je veux. Je garde

l’anonymat par le journal, donc pas de soucis.

Ma parole, elle délire ! C’est vrai que jusqu’à présent, Elle n’a pas eu de

chance. Mais acheter des Chaussettes par correspondance…

— Bon. Ce soir, j’appelle les filles pour m’aider à faire le texte.

Le soir arrivant, je sais que je ne me suis pas trompée. Elles vont faire très,

mais alors très fort.

— Pourquoi ne mettrais-tu pas que nous sommes quatre ?

Lucie et son côté pratique.

— Non, mais ! Ce ne sont pas les soldes. Tant qu’on y est, tu ne veux pas

quatre pour le prix d’une ?

— Il faut que le texte fasse rêver. Par exemple, mets : Très bien physique-

ment, tendre et sensuelle.

— Et pourquoi pas : Couche le premier soir ? Tu ne vas pas bien, ma

pauvre Monique.

Après de grands moments de poésie, elles ont opté pour un texte classique ;

laissant de coté la sensualité, la forte poitrine et l’ouverture à tout type de

proposition.

Ouf, merci pour Elle ! Elle est d’ailleurs restée très ferme. Rien de dévalori-

sant, d’excessif ou de provocateur. En revanche, photo exigée !

 

 Plusieurs jours passent sans qu’aucun message du « prince charmant » ne

soit déposé dans la boîte aux lettres. Les trois autres téléphonent tous les

soirs pour avoir des nouvelles.

Un matin, je la vois revenir de la boîte, une grande enveloppe marron à la

main.

— Ça y est, Noirette. Attention, j’ouvre. Trois, quatre... Non, huit. Huit

réponses à mon annonce ! Vite, le téléphone. Il faut convoquer le comité de

lecture.

C’est incroyable l’importance qu’ont ses copines dans sa vie.

 

— Tout le monde est là ? Bien, on démarre. Les lettres sont restées fermées.

Les filles, j’avoue que je vous attendais avec impatience… Chacune en

prend deux dans le tas.

 

Les résultats ne se font pas attendre : un chauve, petit et très gros ; un sexa-

génaire encore bien, mais sexagénaire malgré tout ; deux ados un peu bou-

tonneux ; un physiquement potable, mais avec une lettre tachée de graisse et

une écriture de cochon...

 

Je fais une découverte. Celle que les porcs savent écrire ! Incroyable...

Viennent ensuite deux hommes mariés.

— Ah les salauds. Ils mériteraient qu’on prévienne leurs femmes…

Monique et sa morale.

 

Quant au dernier, un sans charme, sans allure et surtout sans travail ! Tout

ça pour le prix d’un timbre… Quel exploit !

 

La consternation est générale et nécessite une tournée de margaritas ! il faut

dire que le moral en a pris un sacré coup.

 

Je reste surprise de sa réaction. Elle trouve ça plutôt rigolo. Elle s’amuse,

sans méchanceté, des têtes sur les photos. Il y a bien un peu d’ironie dans sa

voix, mais elle n’est pas particulièrement triste ou même déçue. Je suis

rassuré. J’avais peur qu’Elle y croie un peu trop et attende trop de ces ré-

ponses.

 

C’est clair, Elle a pris du recul par rapport à sa relation aux hommes. Elle

n’est plus en permanence dans les starting-blocks, prête à s’élancer au pre-

mier coup de sifflet.

 

À vrai dire, ce sont les filles qui sont les plus déçues.

— Je pourrai dire que j’ai essayé. Allez, hauts les cœurs !

 

Les jours passent et Elle ne reçoit aucune autre lettre. Mais visiblement, elle

n’en attend plus vraiment.

 

Que dire de la vie lorsque celle-ci n’est qu’ordinaire ?

 

Il y a toujours de petits soucis. La batterie de la voiture qui est vide, la pin-

tade qui crame dans le four trop chaud, un chien qui éventre le sac-poubelle

devant la porte. Rajoutez à cela un ongle cassé, une bougie qui coule sur un

meuble, un livre oublié dans un bar… Le quotidien. Rien ne mettant en péril

son bien-être et sa bonne humeur.

 

Pour Elle et moi, rompre la monotonie serait de rencontrer des Chaussettes.

Mais je vois bien qu’Elle ne fait rien pour, elle est devenue frileuse. Je la

soupçonne de désirer une rencontre et de la craindre en même temps. Je dois

dire que je la comprends.

 

Elle va mieux. Elle traverse les petits désagréments avec calme et fait face,

comme toujours. Aucun signe de déprime particulière. Seule petite sonnette

d’alarme, enfin c’est plutôt un signal, quelques larmouilles durant les films

d’amour à la TV.

 

La voir verser quelques larmes ne m’inquiète pas trop. Je me dis au con-

traire que c’est bon signe. Sa sensibilité est encore là et Elle ne s’est pas

totalement fermée à tout sentiment.



23/06/2012
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