coin lecture - chienne de vie 2ème partie
Chaussettes de sport
Après Chaussettes sales, nous avons eu Chaussettes de sport.
Son passage n’a pas été de tout repos, pour personne… Elle s’est acheté un
vélo, des tennis, une raquette et s’est fait couper les cheveux plus courts.
— C’est plus facile à coiffer et cela me gêne moins pour courir.
Avec celui-là, nous sommes entrées dans l’ère du sport !
— Noirette, tu ne peux pas savoir à quel point cela fait du bien de
s’entretenir ! J’aurais dû m’y mettre plus tôt. Je me sens transformée et
Chaton est si fier de moi. Mon esprit est enfin en harmonie avec mon corps.
Bon, pour ce soir : salade verte, poulet grillé. Et ne fais pas cette tête. Tu
sais que Chaton ne mange rien de gras. Il a raison, ce n’est pas sain. Sais-tu
que je fume moins ? Ça me met un peu les nerfs à vif, mais je peux me
défouler sur le cours de tennis !
Un soir, Elle est rentrée furieuse et en larme. De rage, elle a cassé la raquette
sur le sol du garage, jeté le vélo dehors et mis ses tennis à la poubelle. Après
une douche qui l’a un peu apaisée, Elle a ouvert une boîte de cassoulet
qu’elle a mangé froid, arrosé d’une bière et s’est empiffrée de mousse au
chocolat.
La voir ainsi me fait toujours peur. Mais égoïstement, je ne suis pas mécon-
tente. Ce Chaton-là m’épuisait. J’avais dû raccourcir de 10 cm : il
m’obligeait à courir avec eux tous les samedis matins ! Ras les coussinets…
— Ah, elle se bouge la grosse ! ne cessait-il de me dire.
La grosse. Non, mais gros toi-même, insolent ! Pour qui se prenait-il, celui-
là ? Je ne lui appartenais pas. Souvent, Elle riait. Mais cela sonnait faux.
Et un matin, je n’ai pas eu envie. Il y a des jours où même une chienne veut
qu’on lui fiche la paix et c’en était un ! Je me suis couchée par terre, devant
la maison, comme une carpette. Il s’est emparé de ma laisse, a commencé à
tirer dessus comme un malade. Je glissais et les cailloux me râpaient la peau
du ventre. Mais il était hors de question de céder. J’ai cru qu’il allait
m’arracher la tête... J’ai bien vu qu’Elle ne riait plus et que sa colère mon-
tait. Je me suis dit : « Allez, rajoutes-en un peu. Casse-lui sa baraque ! »
Ce Chaton ne lui convenait pas.
C’est vrai. Elle n’avait jamais acheté autant
de gels amincissants, de crèmes tonifiantes, de gélules vitaminées et autres
produits censés lui donner un corps de rêve. Je me suis mise alors à geindre
en roulant les yeux, puis suis donc passée aux gémissements grand format
pour jours de détresse totale. Je ne sais pas si c’est l’effet des gélules toni-
fiantes, mais Elle a explosé !
— Tu es fou ? Arrête, tu vas la tuer.
— Cette chienne te mène par le bout du nez. C’est une comédienne et toi, tu
marches.
— Je te dis de la lâcher !
Ah, que je l’ai aimée à cet instant-là ! Je l’ai retrouvée telle qu’Elle a tou-
jours été : vive, naturelle et prête à se battre pour ceux qu’elle aime. Je me
suis sentie comme un doberman, prête à bouffer les mollets de ce Chaton
non pas d’olympiades, mais de campagne…
Elle a enlevé ma laisse, pris dans ses bras et nous sommes rentrées à la
maison. Je lui ai léché le visage pour la remercier. Avant de partir, elle m’a
glissé : « Je crois que c’est un connard ! » J’aime à penser que cet épisode
fut le clash de leur relation. Je ne m’étais pas trompée. Le cassoulet, ça
calme un moment. Mais après...
Très vite, nous nous sommes retrouvées sur le canapé et les larmes ont refait
leur apparition ; froides et régulières.
— Pourquoi les hommes sont-ils ainsi, Noirette ? Si difficiles à comprendre,
changeants. J’ai pourtant tout fait ! Moi qui ai horreur du sport. Qu’est-ce
que j’ai qui ne va pas ? Mon âge, 43 ans ? Bon, et alors ? J’ai tellement
d’amour à donner… Que veux-tu que j’en fasse, toute seule ? Suis-je trop
vieille, ou trop moche ?
Je l'observe et je me dis qu’après tout, je préfère être une chienne, car la vie
des humains est trop compliquée. À moins qu’ils ne la compliquent eux-
mêmes ?
Je la regarde.
Elle est si belle... Un peu ridée, c’est vrai. Mais ses rides sont le reflet de son
parcours de vie. Celui fait de rires, de peurs et de tous ces petits bonheurs ;
de ces chutes et victoires. Son cœur est magnifique. Il est plein de chaleur,
de tendresse et de générosité. Quant à ses mains... Légères quand Elle parle ;
douces quand Elle caresse ; constamment ouvertes pour donner. Elle est
emplie de cette compréhension que l’âge procure aux femmes lorsque
celles-ci ont su entendre et décoder les signes, les intégrer et en tirer des
leçons pour devenir meilleures.
Que peuvent-ils bien avoir au fond du cœur, ces Chéri, Chaton et Mamour
pour ne rien comprendre ? Comment font-ils pour ne rien voir ? Leurs sen-
timents sont-ils liés à d’autres ressorts ?
Après le passage de Chaussettes de sport dans notre vie, nous avons enfin
pu retrouver le charme des soirées enfumées entre copines, arrosées de
bières et de margaritas. De retour, aussi, les samedis matins au lit jusqu’à 10
heures, et la nourriture, la vraie. Celle qui la fait hurler lorsqu’Elle monte
sur la boite carrée dans la salle de bains.
Comme cette période fut agréable…
J’aime ces soirées entre nanas à la maison, quand elles refont le monde et
qu’elles parlent d’amour, des hommes et la vie de couple. J’aime leurs
fantasmes que le nombre de margaritas rend de plus en plus fous. Devant
moi, elles n’ont aucun tabou ! Pourquoi en auraient-elles ? Après tout, je
suis une chienne.
— Faire ça dans l’ascenseur, avec le livreur de pizza. Celui qui a les yeux
verts… Ou dans la salle de documentation avec le grand blond qui vient
réparer le photocopieur… Mieux ! Dans la cuisine, avec le plombier.
Je ne vois pas ce que ça peut être, mais elles rient beaucoup et deviennent
toutes rouges. Je suis bien dans ces moments-là.
Parfois, elles me prennent carrément pour cible avec ma virginité à 63 ans
humains et c’est l’éclate totale ! Je ne le prends jamais mal. Et pour tout
dire, je ne déteste pas être le centre des conversations. Couchée sur mon
coussin en forme de cœur, je remue la queue. Loin de ces basses considéra-
tions et de toute cette agitation alcoolisée, je joue la blasée.
Lorsqu’elles se retrouvent entre elles, le monde leur appartient. Pas besoin
de faux-semblants, de séduction ou de jeu. Et que les femmes sont belles
quand elles sont elles-mêmes !
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