animaux, humour,histoire,mystique,poèmes,contes,bric à brac

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coin lecture - chienne de vie - 1ère partie

 

Prologue

 

 

 

 

Ça y est, il est parti.

 

Alors qu’elle reste adossée à la porte, hésitant entre le rire nerveux et les

larmes, je ne sais que faire.

Je savais bien que cela finirait de cette façon avec Chaussettes molles. On ne

peut pas être un type bien en portant des chaussettes qui vous tombent sur

les chevilles. Impossible. Ce type manquait d’élastiques de partout ! Pas

d’humour, peu de répartie, aucune vivacité…

La première fois que je l’ai vu, je l’avais bien cerné, ce Chaussettes molles.

D’entrée, il s’était avachi dans le fauteuil et m’avait traitée avec dédain.

Certains font semblant de s’intéresser à moi, d’autres me donnent des coups

de pieds quand Elle se trouve dans la cuisine. Ça, c’était C.C. : Chaussettes

chics. Il ne supportait pas que je l’approche à cause des poils.

— Ah non ! Pas sur mon alpaga ; disait-il.

Attends. L’alpaga, c’est un genre de petit lama ; c’est du poil. Alors poil sur

poil…

Chaussettes chics avait dès le début fait sa chichiteuse : un mépris pas pos-

sible. Je ne suis certes qu’une chienne, mais j’ai ma dignité ! Et à 9 ans,

donc 63 ans pour un humain, j’ai droit à un minimum de respect. En plus, je

dois avoir l’âge de son père...

J’ai trop souvent connu ce genre d’attitude, car la vie ne m’a pas toujours

gâtée.

La preuve, on m’a appelée Noirette !

Noirette, ça fait tarte. C’est un peu comme Lucette ou Josette pour une fille.

Et vous l’aurez deviné, tout ça parce que je suis noire…

Bravo la créativité !

 

 

La rencontre

 

 

Elle m’a achetée à la S.P.A. il y a quatre ans. Notre rencontre fut un véri-

table coup de foudre.

 

 

 

Il y a des gens qui vous regardent, qui tentent de vous jauger et chez les-

quels on ne voudrait pas aller.

— Trop petit… Trop gros. Ah non, surtout pas un bâtard. Ou pire : trop

vieux !

La S.P.A.1, c’est une sorte d’H.L.M. de la misère, mais pour animaux.

Entassés dans d’horribles cages, nous devons nous contenter de coucher sur

de vieilles couver-tures et d’être sortis à heures fixes sans qu’une seule

caresse ou un mot gentil nous soit adressé ! Mais alors que certains d’entre

nous avaient été battus et maltraités, moi j’avais été aimée, avant d’être

rejetée...

 

 

 

 

Ma vie s’est partagée entre deux femmes.

Pour la première, tout a commencé sur la place du marché. Je m’en souviens

comme si c’était hier. Je me trouve dans un grand carton, mes deux sœurs à

mes côtés. Notre propriétaire propose toutes sortes d’oiseaux. Tant que nous

roulons et qu’on se trouve dans l’obscurité, pas un bruit. Mais dès que le

panneau de son camion gris se soulève, c’est tout un festival.

Ainsi va la vie. Chaque fois que ma mère fait des petits, il les vend. Il faut

dire que nous sommes pure race.

Nous sommes donc là, dans ce grand carton ouvert et posé sur le sol. Cou-

chées sur la paille, profitant du soleil parmi les cris des canaris et des per-

ruches. J’ai 6 mois.

 

 

 

Je l’ai sentie avant même de l'apercevoir. C’était comme si toutes les fleurs

s’étaient ouvertes en même temps. Elle s’est penchée au-dessus du carton, a

tendu sa main vers moi. Je me suis jetée dessus, je l’ai léchée, mordillée et

me suis mise à faire l’intéressante. Je me suis roulée sur le dos, j’ai sauté

partout allant jusqu’à piétiner mes deux sœurs qui dormaient, comme

d’habitude… C’est alors qu’elle m’a prise dans ses bras et que j’ai posé ma

tête sur sa poitrine. C’était doux et chaud, ça sentait déjà l’amour.

— Combien vaut ce diable ? avait-elle demandé en me grattant la tête.

Nous sommes parties ensemble. J’étais la reine du marché…

Des cinq années qui suivirent quatre ans et demi furent un pur bonheur. À

moi les jouets de toutes sortes, le toilettage, les sorties au parc, la petite

gamelle rose et les câlins. Une telle tendresse, même les humains doivent en

rêver.

Mais lors des six derniers mois, sa maladie prit tout et installa le silence. À

la place des rires, des infirmières à domicile qui ne savaient que répéter «

Chut ! » Ensuite, il y eut tous ces gens venus le même jour dont certains

pleuraient fort.

Après son départ, j’ai vécu un moment chez l’un et chez l’autre. Et un ma-

tin, sans savoir pourquoi, je me suis retrouvée à la S.P.A.. Perdue et misé-

rable, j’étais devenue une chienne anonyme avec un simple numéro dans

l’oreille.

 

 

 

 

Jour de visite à la S.P.A..

Avec chaque personne passant devant les cages, c’est l’espoir d’une nou-

velle vie et d’un foyer qui défile. Une autre chance de bonheur. Ce jour-là,

je ne le sais pas encore, mais ma deuxième compagne vient de franchir les

grilles de la porte d’entrée. Je la vois passer une première fois devant la

cage, puis faire demi-tour. Le coup de foudre. Je me dis que ce qui a fonc-

tionné une fois doit être à nouveau possible. Après tout, je n’ai rien à perdre

! Je refais donc mon numéro. Je veux sortir de cet endroit et voir le jour

autrement qu’au travers des barreaux. Il me faut de l’espace, mon espace.

 

 

 

 

 

Ne plus avoir à me battre avec les autres pour un bout de couverture sale ou

un reste de croquettes molles... Avoir une vraie vie ! Sans puces, sans vio-

lence et surtout avec de l’amour...

Alors qu’elle éclate de rire face à mes pitreries, elle se baisse pour me par-

ler. Le bout de ses doigts touche ma truffe et je sens aussitôt que c’est

Elle… Mais Elle, sait-elle que c’est moi ? Je ressens déjà de l’amour et je

veux y croire. J’en ai tellement besoin. Elle lit mon nom sur la cage :

— Noirette… Alors comme ça, tu t’appelles Noirette ?

Quelle honte ! Jamais elle ne m’adoptera avec un nom pareil !

— Noirette, ça me plait bien. Et toi aussi, tu me plais bien.

Elle ne cesse de rire, je suis comme tétanisée.

Mais au final, c’est dans ses bras que je pars. Enfin, je retrouve la chaleur

d’un chez soi. Une nouvelle maison avec des caresses, une autre gamelle

rose, mon propre coussin et des sorties en voitures. Il y a même un jardin,

un vrai, pour moi toute seule, avec des jouets.

C’est alors que j’ai découvert les Chaussettes

Je ne retiens jamais leur prénom, je ne sais même pas s’ils en ont un. C’est

curieux, tous les hommes de cette maison s’appellent Chaton, Chéri ou

Mamour. Ses copines à Elle s’appellent Juliette, Monique et Lucie, des

prénoms d’humains en somme. Mais pour les hommes, ça doit être spécial.

Un Chéri remplace un Mamour, lui-même suivi d’un nouveau Chaton.

Ensuite, ça recommence. Il n’y a pas de sens, aucune logique, c’est selon…

Pour ses copines c’est la même chose.

— J’ai dit à Chéri...

— J’ai dîné avec Mamour...

— Chaton est passé me chercher...

Sur les trois, deux peuvent avoir un Chéri en même temps ! Bizarre…

Moi, je fais plus simple. Je les appelle Chaussettes, en ajoutant un adjectif

approprié. Il faut dire que du haut de mes 35 cm, je ne vois pas grand-chose

d’autre. Pourquoi les nommerais-je autrement ? Aucun d’entre eux ne me

prend dans ses bras…

 

Chaussettes sales

 

Il y a d’abord eu Chaussettes sales.

Imaginez un visage d’ange, des yeux magnifiques et clairs. Le tout couronné

de cheveux blonds bouclés... et gras. Un t-shirt permettant d’identifier son

repas précédent, un pantalon froissé et des chaussettes… mais quelles

chaussettes ! À croire que ce garçon avait piétiné une poubelle. Elle l’a

ramené un soir, au retour d’une de ces sorties hebdoma-daires. Heureuse-

ment, celui-là n’a pas duré bien longtemps. Je ne supportais plus cette

odeur. On aurait cru de vieilles boulettes de viande moisies oubliées au

soleil !

 

J’aime quand Elle se prépare dans la salle de bains. Couchée près de la

baignoire, sur le tapis bleu décoré de poissons, je la regarde alors qu’elle me

parle.

— Alors, qu’en penses-tu ? Les boucles d’oreilles noires ou les dorées ? Les

noires font mémère, non ? À 43 ans, je ne vais pas commencer à être clas-

sique. En plus, cette jupe me grossit ! C’est plus possible, il faut que je

perde du poids… Bon, voilà, je ne peux pas faire mieux ! Ça te plait, Noi-

rette ? Crois-tu que je vais avoir du succès ? Peut-être vais-je enfin rencon-

trer Le Bon.

Le Bon ? Je me demande si c’est un autre genre que les habituels Chéri,

Mamour ou Chaton. D’ailleurs, à quoi ressemble-t-il, Le Bon ? Comment le

reconnaît-on ?

— Après tout, je ne suis pas si mal pour mon âge.

Si vous voulez mon avis, tout ça manque de conviction ! Elle essaye de se

persuader que tout n’est pas perdu, qu’il n’est pas trop tard…

C’est curieux cette façon qu’ont les humains d’avoir peur de la vie, du

regard de leurs semblables et de leur jugement. Ils sont persuadés d’avoir à

tout prix besoin des autres.

Réflexion faite, moi aussi j’ai besoin de voir l’amour dans ses yeux lors-

qu’Elle me regarde. J’ai besoin de sentir ses caresses et sa présence,

 

– 6 –

 

 

 

d’entendre ses bruits dans la maison. Mais je ne suis qu’une chienne, sans

défense.

— Je vais dans une nouvelle boîte. Juliette dit qu’il y a plein de célibataires.

Qui sait, avec un peu de chance… Mais tu t’en moques. Hein, Noirette ?

Je me fiche des célibataires… Tu parles. Moi qui suis toujours vierge à 63

ans humains. J’ai bien croisé des Fifi, des Jules et autres Eddy dans le parc,

mais je n’avais aucune chance avec chacun d’eux attachés au bout de sa

laisse ! On se renifle, on se tourne autour. On pense que c’est bon, on urine

sur le même arbre. Mais ensuite, on se sent tiré chacun de son côté… Quelle

frustration !

— À 43 ans, je ne vais pas m’encombrer d’un type, surtout si c’est pour

qu’il régisse ma vie. Encore un qui m’empêcherait de voir mes copines et de

fumer au lit. Hors de question ! Tu sais, Noirette. Au début, ils sont gentils,

prévenants et amoureux. Mais ensuite, l’habitude s’installe. Je ne veux pas

de ça !

Alors pourquoi cette quête presque incessante ? À quoi bon ces sorties

nocturnes, ces préparations minutieuses devant la glace ? Pourquoi monter

sur cette chose carrée et hurler :

— Quoi ? J’ai pris 1 kg ? Tu m’étonnes que je ne trouve personne… Je ne

suis qu’un gros boudin !

Je ne suis pas spécialiste des boudins. Mais moi, je la trouve bien ! Son

corps est harmonieux, un peu musclé. Elle a tout pour plaire. En tout cas,

Elle me plait. Mais je sens bien que je ne lui suffis pas. D’où les Chaus-

settes



17/06/2012
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